La sérénité du tumulte

Publié le par PYC - blogger

    Tout d'abord, c'est le titre qui m'a attiré : L'Elegance des veuves... Si je ne réfléchis pas, j'ai une vision très stéréotypée de ce qu'est une veuve : je l'imagine "à l'ancienne", avec voile de tulle noir, gants de cuir sur des doigts fins qui ne tremblent pas, talons hauts... et port de tête digne, très digne. Alors l'élégance des veuves se pose comme une évidence. J'imagine que le titre pourrait aussi bien être antiphrastique pour qui se représente les veuves comme des êtres fondant en larmes à chaque seconde, n'arrivant plus à faire face aux réalités du quotidien, ne vivant plus que pour et dans le souvenir de l'autre... Quoi qu'il en soit, un titre évocateur.
    Puis, il y a eu la lecture... en une bouchée, ce n'est qu'un très court roman que nous propose là
Alice Ferney. L'élégance est avant tout celle de l'écriture : des phrases pudiques, qui dévoilent par touches successives la réalité des personnages, à force de qualificatifs eux mêmes sans cesse précisés, modifiés, emplis de sens par un adverbe ou une juxtaposition bien sentie. Puis l'élégance est effectivement celle des femmes de ce livre : des êtres foncièrement de chair et de sang, entités créatrices dominées par le besoin de maternité, de vie et de bousculements, mais aussi épouses du deuil, souvent précoce, inattendu, comme si la vie et la mort s'étaient lancées dans une course, l'une prouvant son pouvoir par les cris de douleur de la mère donnant la vie, l'autre par les larmes insonores versées sur les corps aimés que l'on ne remplacera pas.
    Hymne à la maternité et à la vie, ce livre paraît atemporel. Bien sûr, des dates, il en existe :
Actes Sud publie ce livre en 1999; l'édition de poche est due, un an plus tard, à J'ai Lu ; l'histoire, elle, se déroule fin XIXe - début XXe siècle... et pourtant, les guerres ne sont évoquées que pour expliquer certaines disparitions, sans jamais altérer chez ces femmes l'envie - naturelle et non conjecturelle - d'enfantement. L'élégance de ces veuves ne tient donc pas dans leur relation aux autres, dans le respect du qu'en-dira-t-on, mais dans l'accomplissement de soi, dans la recherche de la satisfaction d'un désir - ou d'un besoin - ancré au plus profond et au plus intime de l'être.
    Et les hommes, dans tout ça, alors ? Il y a bien un veuf, c'est vrai. Mais veuf ou pas, les hommes ont droit ici à une même élégance, toute masculine, celle de l'homme bienveillant, protecteur, entreprenant, raisonnable. Et pourtant ! Ce veuf est  un homme coupé, sinon du désir, tout au moins du plaisir d'enfantement ; il croit évident, après la mort de son père, que sa mère supporterait mieux le deuil si la famille s'agrandissait à nouveau : l'élégance de la bienveillance masculine est-elle d'accepter de donner la vie pour combler un désir uniquement féminin, celui de la mère, celui de l'épouse ?
    Ce que je retiens de ce livre, c'est avant tout une écriture merveilleuse de tendresse : aucun personnage n'est caricatural, même lorsqu'il est voulu archétypal. Les fautes n'ont pas droit de cité : les personnages n'en commettent donc aucune, ils se contentent de manquements, de mal-à-propos... Que tout cela est reposant ! Comme il est bon de penser, avec la famille dont on suit la ramification, que toute chose suit son cours et que le meilleur est à venir ! Un livre inlassablement positif qui montre une vie parfois cruelle mais des êtres en quête de connivence, d'intelligence, qui trouvent la sérénité dans le mouvement et la création mêmes.
    En deux mots plutôt qu'en cent autres : lisez-le !

Publié dans Romans français

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