Sentiments, sans piments

Publié le par PYC - blogger

    Paru en 2002 aux éditions du Dilettante, Je l'aimais est un court roman d'Anna Gavalda (la désormais célèbre auteure d'Ensemble, c'est tout).

    Chloé vient de se faire quitter par son mari Adrien, restant seule avec les enfants. Son beau-père, Pierre, un être solitaire, taciturne, autoritaire, lui fait une proposition surprenante : partir tous les deux, avec les petites, dans sa maison de campagne pour quelques jours. Chloé accepte ce bol d'air inespéré pendant lequel Pierre va recueillir ses impressions, être à la fois une oreille attentive et un punching-ball trop expérimenté pour ne pas savoir quelle est la cible réelle des attaques de Chloé. Le vieil homme s'expose lui aussi pour la première fois devant sa belle-fille, lui livrant certains secrets de sa propre vie amoureuse et justifiant à sa manière son habituel mutisme et sa distance aux autres. Derrière son discours, c'est un parallèle entre deux façons de réagir à un même événement qui est dressé : Pierre a gâché sa vie en sacrifiant la femme qu'il a aimée à la stabilité de son couple et de sa famille, alors que son fils Adrien choisit  au contraire de vivre ses nouveaux élans jusqu'au bout.
   
    Ce parallèle évite une vision trop manichéenne par rapport à cette situation bien connue d'adultère et de choix entre l'épouse et la maîtresse. Cependant, il ne constitue pas un cache-misère suffisant pour la pauvreté de la trame narrative de Je l'aimais. L'absence d'action n'est généralement pas pour me déplaire, mais le livre se résume à une réflexion non aboutie sur la valeur des liens amoureux et sur les responsabilités que ces liens créent... ou non, justement.

    Cet ouvrage se lit en un bloc sans problème : il est court, le style est très passe-partout, les dialogues quasi permanents le rendent vivant... La lecture n'est d'ailleurs en rien désagréable, loin s'en faut. Je regrette simplement que la discussion ne soit pas véhiculée par une structure plus forte et plus fine : la double opposition Pierre-Chloé et Pierre-Adrien me semble une bien piètre limitation du problème : parce qu'elle ne s'autorise pas le développement de l'histoire d'amour elle-même (la rencontre de Chloé et Adrien, leurs débuts, leur difficultés, leurs réussites), l'auteure présente une histoire qui paraît n'être qu'une coquille vide, un prétexte à la discussion qu'elle entame et non une histoire en soi. Ce que j'aurais aimé trouver ici est la mise en valeur de la beauté de la rencontre entre Chloé et Pierre, ces deux êtres que le respect de l'intimité d'Adrien contraint à une inévitable distance et que les caractères ne rapprochent aucunement. Une rencontre fortuite que seule un concours de circonstances exceptionnel permettait : le départ d'Adrien (donc la
temporaire irréalité  de son intimité) et la ressemblance entre le choix qui s'est posé à lui et celui auquel fut confronté son père (ainsi que la volonté chez ce dernier de justifier et vivre par procuration l'option délaissée).

    Si c'était une musique, Je l'aimais serait une chanson de variété française : variété car légère, française car occupée à analyser les sentiments. De même que cette musique, le livre s'appréciera en fond de toile, lors
d'un déplacement ou l'été sur la plage, pour se détendre un instant, en sachant que l'on y prendra plaisir sans risquer que de trop profondes réflexions ne gâchent le plateau de fruits de mer au resto le soir...

Publié dans Romans français

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S
Votre analyse est fort pertinente et j'y adhère totalement.<br /> En même temps je découvre votre blog tout récent, que je trouve fort beau, mais si vous pouviez ajouter les images des couvertures de livres , cela en faciliterait la lecture<br /> Bonne chance pour la suite!
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